Pour lutter contre les paradis fiscaux, il faut développer de nouveaux moyens afin de combattre à armes égales. Il faut dissuader les entreprises d’éviter l’impôt, augmenter significativement la transparence corporative et pleinement assujettir l’économie numérique au fisc. Ce faisant, il sera beaucoup plus difficile et bien moins intéressant de recourir aux paradis fiscaux.
Solution 7 : Instaurer un registre public des bénéficiaires ultimes
Un registre des bénéficiaires ultimes permet d’augmenter considérablement la transparence corporative en rendant public le nom des individus qui profitent des activités des compagnies. Les bénéficiaires correspondent aux personnes détenant une part importante d’une entité (exemple : actionnaires, administrateurs, etc.). Les informations peuvent comprendre les noms des bénéficiaires, leur adresse de résidence et leur rôle au sein de la société. Le registre peut aussi contenir les informations passées de la société, rendre accessibles les différents documents d’audits fiscaux et fournir en quelque sorte un historique de la société.
Un tel registre dote les autorités fiscales d’un puissant outil pour s’assurer du respect du cadre fiscal en augmentant massivement la transparence commerciale et en permettant de savoir qui se cache derrière les sociétés-écrans. En rendant public un tel registre, on augmente considérablement la transparence et la confiance de la population envers ses institutions. On rend aussi caduc les sociétés-écrans, des sociétés bidons anonymes servant à cacher l’identité des propriétaires.
Pour mettre en place un registre efficace des bénéficiaires ultimes, il faut satisfaire plusieurs exigences. Nous nous inspirons des critères du Tax Justice Network pour revendiquer un registre canadien public des bénéficiaires ultimes qui présentera les caractéristiques suivantes :
Réguler les porteurs de charge. Au Canada, à l’heure actuelle, aucune règle n’encadre ni n’interdit le fait de donner la responsabilité d’une entité à autrui. Il est primordial de légiférer de manière à interdire le transfert spontané de responsabilités, afin que les autorités fiscales sachent en tout temps qui est aux rênes d’une entité.
Admissibilité large des bénéficiaires. Un bénéficiaire est une personne qui détient suffisamment de responsabilités au sein d’une entité pour qu’on présume qu’elle y joue un rôle important. En Angleterre, le seuil est établi à plus de 25 % des charges. Ce seuil peut être revu à la baisse.
Mise à jour annuelle du registre. Le registre doit être annuellement mis à jour pour que les informations soient pertinentes. Les entités qui ne respectent pas les délais doivent être pénalisées.
Accessibilité en ligne et ouverte au public du registre. Le registre doit être accessible au public, en ligne et en format open data pour que les données puissent être utilisées dans des outils de recherche.
Couverture du registre. En plus des compagnies, le registre devrait s’appliquer aux fiducies et aux fondations.
Une telle mesure semble trop ambitieuse ou radicale ? Suivons l’exemple britannique. Depuis 2016, le Royaume-Uni a implanté un registre public considéré comme un modèle à suivre. D’ici 2020, les membres de l’Union européenne auront aussi implanté leur propre registre public des bénéficiaires ultimes.
À noter finalement que la Commission des finances publiques a également recommandé d’implanter un tel registre pour les entreprises de juridiction fédérales (recommandation 32).
Solution 8 : Instaurer une taxe sur les profits détournés (Google Tax)
La taxe sur les profits détournés, ou Google Tax, a pour but de forcer les multinationales à payer justement leurs impôts dans les pays où ils tirent des profits. Son fonctionnement est simple. L’autorité fiscale d’un pays gagne le pouvoir d’enquêter sur une multinationale si elle pense que cette dernière détourne ses profits vers un paradis fiscal. Après enquête, si c’est bien le cas, l’autorité fiscale peut frapper les profits de la multinationale d’une taxe plus élevée que le taux d’imposition des entreprises en vigueur.
Une telle taxe se veut dissuasive, car on veut inciter les multinationales à changer leurs pratiques et à respecter les lois de chaque pays. En vigueur depuis 2016 au RoyaumeUni et depuis 2017 en Australie, la taxe sur les profits détournés a eu un certain succès. Elle a permis en 2017-18 :
- d’amasser environ 650 M$ CAD supplémentaires pour le Royaume-Uni ;
- de modifier les agissements de certaines entreprises, notamment Amazon, qui déclare maintenant le revenu de ses ventes anglaises au Royaume-Uni plutôt qu’aux Pays-Bas ;
- d’augmenter d’environ 5G$ CAD les revenus déclarés par les multinationales en Australie.
Bien entendu, la taxe sur les profits détournés ne couvre pas tous les stratagèmes d’évitement fiscal. Il s’agit néanmoins d’un outil nécessaire, d’un premier pas vers une plus grande justice fiscale.
Notons finalement que la Commission des finances publiques a demandé que l’ARC estime les profits des multinationales ayant des activités dans le Canada et détournés dans un paradis fiscal, dans l’objectif d’étudier la faisabilité d’instaurer une taxe sur les profits détournés. Sans défendre explicitement l’instauration d’une telle taxe, on voit que les parlementaires du Québec considèrent que cette revendication est assez importante pour qu’on étudie sérieusement son application.
Solution 9 : Imposer adéquatement l’économie numérique
Les entreprises numériques, couramment nommées GAFAM (Google, Apple, Facebook, Microsoft, et les autres, telles Netflix, Airbnb ou Uber), occupent des parts du marché canadien de plus en plus grandes, parfois dominantes, dans leur secteur d’activité et font une concurrence déloyale aux entreprises établies au Canada. Certaines de ces entreprises évitent tout impôt au Canada et ne perçoivent pas les taxes de vente. Non seulement ces entreprises évitent massivement l’impôt, mais elles imposent une concurrence déloyale aux entreprises locales œuvrant dans le même domaine.
En 2018, le gouvernement du Québec a annoncé que certaines entreprises qui vendent et fournissent des services en ligne au Québec allaient devoir percevoir la taxe de vente du Québec (TVQ) sur leurs services. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, mais on ne parle pas d’impôt sur les profits réalisés au Québec par ces entreprises. Il faut maintenant viser du point du côté canadien la collecte des taxes et l’imposition complète des profits des entreprises étrangères réalisés au pays.
Compte tenu de l’importance grandissante du secteur numérique et de la concurrence déloyale envers les entreprises résidentes, certains pays ont décidé de mettre en place un régime d’imposition temporaire des géants du numérique en attendant la mise en œuvre des solutions de l’OCDE. Le Royaume-Uni est allé de l’avant avec son propre régime d’imposition, tout comme la France.
Et le Canada ?
À l’heure actuelle, la position canadienne concernant la taxation des géants de l’économie numérique est d’attendre l’adoption et la mise en œuvre des solutions qui seront éventuellement proposées par l’OCDE en 2020. Mais le Canada peut et doit en faire davantage pour taxer et imposer les profits réalisés par l’économie numérique sur son territoire. Les sommes perdues au cours du délai sont colossales et le tort causé aux entreprises canadiennes, très sérieux.
Nous soulignons par ailleurs qu’il ne faudrait pas que l’augmentation des charges fiscales pour ces entreprises se traduise en une augmentation du coût des produits pour les consommateurs et consommatrices.
Pour en savoir plus, une critique d’ATTAC-France sur la taxe GAFA française