Solutions

12 travaux pour la justice fiscale au Canada

Revoir nos pratiques, nos lois et nos institutions fiscales

  • Bonifier substantiellement les ressources de l’ARC. L’ARC a toujours besoin de 500 M$ en nouveaux investissements pour combler les compressions du gouvernement Harper et gérer l’afflux de données fiscales issues du BEPS.
  • Augmenter la transparence et la reddition de comptes de l’ARC. Le ministère des Finances doit présenter à chaque budget un rapport faisant état des diverses avancées de l’ARC quant à la lutte contre les paradis fiscaux.
  • Criminaliser l’évitement fiscal et sévir davantage contre les fraudeurs. La légalité de l’évitement fiscal et les pénalités prévues sont actuellement nettement insuffisantes pour dissuader efficacement les fraudeurs de recourir aux paradis fiscaux.
  • Encadrer et restreindre davantage le recours à la divulgation volontaire. Les divulgations volontaires ne doivent pas constituer un passe-droit, mais plutôt être accompagnées de pénalités à des taux pouvant atteindre 30 % et ne devraient jamais prévoir de taux d’intérêt réduit.
  • Limiter et encadrer les règlements hors cour. Il est essentiel de mieux encadrer la possibilité de conclure des ententes à l’amiable dans les cas de fraude fiscale avérée afin de rétablir la confiance envers les tribunaux canadiens.
  • S’inspirer des recommandations de la Commission des finances publiques du Québec pour bonifier la lutte contre l’évitement fiscal. La Commission des finances publiques du Québec a proposé plusieurs recommandations astucieuses que l’ARC devrait adopter : d’une part, travailler de concert avec Revenu Québec pour automatiser l’échange de renseignements fiscaux, et d’autre part, apporter plusieurs améliorations aux opérations de l’ARC pour bonifier la transparence de l’Agence et les efforts de recouvrement.

Doter le Canada de nouveaux moyens pour lutter contre les paradis fiscaux

  • Mettre en place un registre public des bénéficiaires ultimes. Dans un but de transparence, l’État doit rendre public un registre permettant de divulguer le nom des individus qui détiennent les compagnies, fondations et fiducies et, en même temps, profitent ultimement de leurs activités commerciales.
  • Instaurer une taxe sur les profits détournés (Google Tax). Les profits transférés par une multinationale dans un paradis fiscal doivent être assujettis au régime fiscal canadien et les autorités fiscales doivent pouvoir taxer ces revenus détournés.
  • Imposer adéquatement l’économie numérique. Le Canada doit aller de l’avant avec un régime d’imposition des profits des géants de l’économie numérique en attendant les solutions globales du BEPS de l’OCDE.

Revoir les liens du Canada avec des paradis fiscaux notoires

  • Changer les lois fiscales pour assujettir à l’impôt les revenus et les profits déclarés dans un paradis fiscal et rapatriés au Canada. Modifier la Loi sur l’impôt sur le revenu et les règlements associés afin d’imposer les revenus ou la fortune des contribuables provenant des paradis fiscaux avec lesquels le Canada a signé des conventions fiscales.
  • En finir avec la double non-imposition. Les multiples ententes (conventions fiscales, accords d’échange de renseignements fiscaux, etc.) liant le Canada à des paradis fiscaux doivent être révisées, de manière à ce que les dividendes qu’ils émettent ne puissent pas être exonérés d’impôt lorsqu’ils sont rapatriés au Canada.

Proposer une vision d’avenir et multilatérale

  • Promouvoir auprès des partenaires internationaux la mise en place d’une taxation unitaire des multinationales. La taxation unitaire propose de réformer la fiscalité internationale des sociétés multinationales afin de les imposer sur la base de leur profit global plutôt que sur celui qui est réalisé dans chacune de leurs filiales. Les impôts à payer dans chaque pays seraient déterminés par une formule de répartition à définir en fonction de l’activité économique de chaque multinationale dans ces pays. Le Canada pourrait se faire le porteur de cette idée sur la scène internationale.

Revoir nos pratiques, nos lois et nos institutions fiscales

L’objectif de la révision de nos pratiques, lois et institutions fiscales est de donner à l’Agence du revenu du Canada tous les moyens et la latitude légale nécessaires pour bien remplir sa mission et protéger l’assiette fiscale du Canada. En changeant les lois fiscales, l’ARC détiendra une marge de manœuvre plus large pour recouvrer des sommes détournées. En révisant les façons d’agir de l’ARC, on pourra s’assurer qu’elle œuvre au bénéfice de la population et non en fonction des intérêts de l’élite financière.

Bonifier les ressources de l’ARC

Malgré les récents investissements de l’ordre d’un milliard de dollars du gouvernement de Justin Trudeau (lien hypertexte vers notre page du site qui en parle), il subsiste d’importants problèmes à l’Agence du revenu du Canada. Entre autres :

  • Service à la clientèle déficient (aucun service rendu en personne dans les centres fiscaux, difficulté d’accès par téléphone);
  • Manque de ressources pour gérer l’afflux grandissant d’informations fiscales.

Selon l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, il faudrait 500 M$ pour seulement revenir au niveau de service offert par l’ARC avant que le gouvernement Harper y mette la hache. C’est pourquoi nous considérons qu’il est impératif que le gouvernement investisse le plus rapidement possible cette somme pour donner à l’ARC la pleine capacité d’agir.

De plus, dans la cadre du BEPS, le Canada reçoit depuis peu un nouveau flux d’information fiscale sur ses contribuables et leurs actifs à l’international. De nouvelles ressources sont nécessaires afin d’assurer un traitement efficace de toutes ces nouvelles informations.

2.2 Augmenter la transparence de l’ARC

L’ARC produit depuis 2016 une estimation de l’écart fiscal dû aux contributions des particuliers, soit les sommes perdues par l’inobservation des règles de l’impôt et des taxes par les particuliers. Cet exercice doit être complété en 2019 avec la publication d’estimations de l’écart fiscal dû aux contributions des entreprises et aux stratégies d’évitement des multinationales.

Ces études produites par l’ARC ne sont cependant pas suffisantes pour être en mesure de bien apprécier les efforts et les résultats des luttes contre l’évasion et l’évitement fiscaux.
L’ARC pourrait implanter plusieurs autres mesures de reddition de comptes :

  • Présentation de statistiques segmentées par tranches de revenus. Actuellement, tous les contribuables déclarant des revenus supérieurs à 250 000$ sont regroupés en un seul segment. Il faudrait diviser ce groupe davantage afin d’être en mesure de mieux observer le portrait fiscal des plus fortunés, en particulier pour pouvoir considérer leur taux d’imposition effectif.
  • Présenter une étude comparative des écarts fiscaux entre différents pays. De cette manière, le public pourrait savoir si le Canada fait bonne ou mauvaise figure à l’international quant à sa capacité de collecter les impôts de ses contribuables.

De plus, l’ARC, le ministère des Finances ou le Directeur parlementaire du budget pourraient présenter un rapport détaillé, à chaque budget, faisant état des avancées quant à la lutte contre les paradis fiscaux et à la justice fiscale en général.

Un bon départ serait de faire état des gestes posés et de l’avancement des dossiers à la suite de révélations de journalistes comme les Panama ou les Paradise Papers.

Pour en savoir plus : https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/programmes/a-propos-agence-revenu-canada-arc/rapports-information-entreprise/sommaire-ecart-fiscal.html

Criminaliser les coupables d’évasion et d’évitement fiscaux

Nos lois et nos institutions fiscales ont pour responsabilité de protéger l’intégrité fiscale du pays. Il faut revoir nos lois, car elles ne permettent pas de bien lutter contre les paradis fiscaux. À l’heure actuelle, si la fraude fiscale est illégale au Canada, l’évitement fiscal, incluant le recours aux paradis fiscaux pour réduire ses revenus déclarés, ne l’est pas.

Au lieu de poursuivre un contribuable fautif selon l’article 239 de la Loi sur l’impôt sur le revenu, la Couronne doit, dans des cas majeurs d’évitement fiscal, poursuivre le fautif selon l’article 380 du Code criminel.

De plus, les contrevenants pris à optimiser abusivement leur impôt ne s’exposent au pire qu’à des amendes, et ces dernières ne sont pas suffisamment lourdes pour avoir un réel impact. Les pénalités devraient donc être plus lourdes afin d’être suffisamment dissuasives.

Notons finalement que la Commission des finances publiques a proposé des recommandations en 2017 dans son rapport Le phénomène du recours aux paradis fiscaux qui vont dans le même sens, soit les recommandations 33, 34 et 35. Ces recommandations proposent, entre autres, au gouvernement fédéral de revoir le Code criminel pour intégrer l’évitement fiscal grave et l’activité des intermédiaires qui recommandent des stratagèmes d’évitement fiscal

Restreindre le recours à la divulgation volontaire

Malgré le fait que l’ARC soit censée lutter contre la fraude et l’évitement fiscaux, à l’opposé, elle offre aux contrevenants les plus fortunés des occasions pour minimiser leur peine et ne pas avoir à subir toutes les pénalités concernant leurs actes. Il est impératif de changer ce régime de justice à deux vitesses qui accorde une impunité aux contribuables les plus fortunés reconnus coupables.

La divulgation volontaire permet en effet aux contribuables qui ont évité l’impôt ou pratiqué la fraude de régulariser leur situation fiscale et de payer l’impôt et les intérêts qu’ils doivent en déclarant eux-mêmes la situation. Ce programme accorde donc une impunité à l’évitement fiscal et permet aux contrevenants de se soustraire à des poursuites quand ils craignent de « se faire pincer ».

L’ARC a récemment restreint l’accès à la divulgation volontaire, ce qui est un pas dans la bonne direction, mais il faut le restreindre encore davantage. Des pénalités importantes allant jusqu’à 30% des remboursements payés doivent être imposées à ceux qui se prévalent de la divulgation volontaire. Il faudrait également ne permettre aux contribuables qu’une seule occasion à vie de se prévaloir de cette mesure extraordinaire. Finalement, en cas de faute fiscale très grave, la divulgation volontaire devrait tout simplement être interdite.

Limiter les règlements hors cour

L’ARC conclut parfois des ententes avec des contribuables suspectés d’avoir fraudé l’impôt afin d’éviter les frais juridiques associés à un procès. Ces ententes ont pour but de récupérer une partie des sommes d’impôt non payées. En échange, aucune poursuite ne sera menée. Comme ces ententes demeurent secrètes, il est impossible de savoir quelle est l’importance de la fraude et quels montants sont récupérés.

Or, si les ententes à l’amiable peuvent apparaître comme une bonne affaire, elles envoient au contraire un très mauvais signal à l’ensemble des contribuables canadiens : il peut être payant de faire de l’évasion et de l’évitement fiscaux. Ces ententes donnent aussi l’impression qu’il existe deux justices, l’une pour les plus fortunés et l’autre pour le reste de la population. De plus, cela ne peut être une stratégie acceptable qu’à court terme, puisqu’à long terme, on aurait intérêt à créer des précédents juridiques coûteux et à les rendre publics. Ces poursuites mettraient au pas les entreprises et les individus susceptibles de tenter le coup de l’évitement fiscal.

Divers encadrements sont possibles pour limiter les règlements hors cour. Ceux portant sur les litiges fiscaux pourraient être approuvés par un comité indépendant quand les sommes en jeu dépassent un million de dollars. De plus, ces ententes devraient être interdites dans les cas de fraudes plus graves.

S’inspirer des recommandations de la Commission des finances publiques du Québec pour mieux lutter contre l’évitement fiscal

La Commission des finances publiques du Québec (CFP) -une commission parlementaire composée d’élus de tous les partis qui étudie dans le détail des questions fiscales-, dans son rapport de 2017 Le phénomène du recours aux paradis fiscaux, a fait plusieurs propositions astucieuses au gouvernement fédéral afin que ce dernier bonifie son action contre l’évitement fiscal et le recours aux paradis fiscaux. Nous souscrivons aux recommandations de la Commission et nous en proposons ici quelques-unes particulièrement intéressantes.

A) Travailler de concert avec Revenu Québec

La CFP recommandait que Revenu Québec et l’ARC améliorent leurs liens et que les deux agences s’échangent automatiquement les informations fiscales qu’ils détiennent.
Nous souscrivons à cette recommandation. Présentement, certains renseignements fiscaux détenus par l’ARC ne sont pas automatiquement communiquées à Revenu Québec lorsque les informations concernent un contribuable du Québec. Il nous apparait essentiel qu’une courroie de transmission automatique soit mise en œuvre entre les deux agences. Rappelons les deux recommandations de la Commission à cet égard :

  • Recommandation 12 : Que Revenu Québec s’assure d’obtenir de l’Agence du revenu du Canada les déclarations pays par pays des multinationales ayant des activités au Québec et de les analyser.
  • Recommandation 13 : Que Revenu Québec collabore avec l’Agence du revenu du Canada pour obtenir les renseignements fiscaux et les décisions fiscales touchant le Québec que l’agence fédérale échangera ou recevra des pays partenaires du Canada.

B) Améliorer notre façon d’agir pour augmenter l’efficacité de l’action de l’ARC et la transparence corporative

D’autres recommandations de la Commission proposent une révision importante du fonctionnement de l’appareil fiscal canadien. À terme, ces recommandations permettraient d’agir contre d’autres formes de recours aux paradis fiscaux, d’augmenter la reddition de compte de l’ARC, ainsi que la transparence corporative.

  • Recommandation 28 : Légiférer sur les crédits d’impôt pour la recherche et le développement des entreprises à charte fédérale afin de conditionner l’octroi des crédits d’impôt pour la recherche et le développement au non-transfert de la propriété intellectuelle découlant de cette activité dans un paradis fiscal ou dans un territoire à faible fiscalité.
  • Recommandation 30 : Modifier la ou les lois pertinentes afin d’exiger de tout contribuable canadien soupçonné d’avoir entretenu des relations avec une institution financière située dans un paradis fiscal qu’il relève cette dernière de toute obligation de confidentialité sur ses comptes bancaires, selon le mécanisme approprié.
  • Recommandation 36 : Diminuer le seuil de 750 millions d’euros (plus de 1,1 milliard de dollars canadiens) de chiffre d’affaires des entreprises canadiennes à assujettir à la déclaration pays par pays.
  • Recommandation 37 : Rendre publiques les déclarations pays par pays des entreprises, à l’instar de l’Union européenne qui en a décidé ainsi en avril 2016.
  • Recommandation 38 : Se donner comme priorité dans sa politique étrangère de soutenir fermement la lutte contre les paradis fiscaux.

Pour en savoir plus : http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cfp/mandats/Mandat-29369/index.html

Doter le Canada de nouveaux moyens pour lutter contre les paradis fiscaux

Pour lutter contre les paradis fiscaux, il faut développer de nouveaux moyens afin de combattre à armes égales. Il faut dissuader les entreprises d’éviter l’impôt, augmenter significativement la transparence corporative et pleinement assujettir l’économie numérique au fisc. Ce faisant, il sera beaucoup plus difficile et bien moins intéressant de recourir aux paradis fiscaux.

Instaurer un registre public des bénéficiaires ultimes

L’objectif d’un registre des bénéficiaires ultimes est de lever le voile corporatif créé par les sociétés-écrans afin de divulguer publiquement le nom des individus qui profitent ultimement des activités des compagnies. Les bénéficiaires correspondent aux personnes détenant une part importante d’une entité (exemple : actionnaires, administrateurs, etc.). Les informations peuvent comprendre les noms des bénéficiaires, leur adresse de résidence et leur rôle au sein de la société. Le registre peut aussi contenir les informations passées de la société, rendre accessibles les différents documents d’audits fiscaux et fournir en quelque sorte un historique de la société.

Un tel registre dote les autorités fiscales d’un puissant outil pour s’assurer du respect du cadre fiscal en augmentant massivement la transparence commerciale et en permettant de savoir qui se cache derrière les sociétés-écrans. En rendant public un tel registre, on augmente considérablement la transparence et la confiance de la population envers ses institutions.

Pour mettre en place un registre efficace des bénéficiaires ultimes, il faut satisfaire plusieurs exigences. Nous nous inspirons des critères du Tax Justice Network pour revendiquer un registre canadien public des bénéficiaires ultimes qui présentera les caractéristiques suivantes :

  • Réguler les porteurs de charge. Au Canada, à l’heure actuelle, aucune règle n’encadre ni n’interdit le fait de donner la responsabilité d’une entité à autrui. Il est primordial de légiférer de manière à interdire le transfert spontané de responsabilités, afin que les autorités fiscales sachent en tout temps qui est aux rênes d’une entité.
  • Admissibilité large des bénéficiaires. Un bénéficiaire est une personne qui détient suffisamment de responsabilités au sein d’une entité pour qu’on présume qu’elle y joue un rôle important. En Angleterre, le seuil est établi à plus de 25 % des charges. Ce seuil peut être revu à la baisse.
  • Mise à jour annuelle du registre. Le registre doit être annuellement mis à jour pour que les informations soient pertinentes. Les entités qui ne respectent pas les délais doivent être pénalisées.
  • Accessibilité en ligne et ouverte au public du registre. Le registre doit être accessible au public, en ligne et en format open data pour que les données puissent être utilisées dans des outils de recherche.
  • Couverture du registre. En plus des compagnies, le registre devrait s’appliquer aux fiducies et aux fondations.

Une telle mesure semble trop ambitieuse ou radicale ? Suivons l’exemple britannique. Depuis 2016, le Royaume-Uni a implanté un registre public considéré comme un modèle à suivre. D’ici 2020, les membres de l’Union européenne auront aussi implanté leur propre registre public des bénéficiaires ultimes.

À noter finalement que la Commission des finances publiques a également recommandé d’implanter un tel registre pour les entreprises de juridiction fédérales (recommandation 32).

Instaurer une taxe sur les profits détournés (Google Tax)

La taxe sur les profits détournés, ou Google Tax, a pour but de forcer les multinationales à payer justement leurs impôts dans les pays où ils tirent des profits. Son fonctionnement est simple. L’autorité fiscale d’un pays gagne le pouvoir d’enquêter sur une multinationale si elle pense que cette dernière détourne ses profits vers un paradis fiscal. Après enquête, si c’est bien le cas, l’autorité fiscale peut frapper les profits de la multinationale d’une taxe plus élevée que le taux d’imposition des entreprises en vigueur.

Une telle taxe se veut dissuasive, car on veut inciter les multinationales à changer leurs pratiques et à respecter les lois de chaque pays. En vigueur depuis 2016 au RoyaumeUni et depuis 2017 en Australie, la taxe sur les profits détournés a eu un certain succès. Elle a permis en 2017-18 :

  • d’amasser environ 650 M$ CAD supplémentaires pour le Royaume-Uni ;
  • de modifier les agissements de certaines entreprises, notamment Amazon, qui déclare maintenant le revenu de ses ventes anglaises au Royaume-Uni plutôt qu’aux Pays-Bas ;
  • d’augmenter d’environ 5G$ CAD les revenus déclarés par les multinationales en Australie.

Bien entendu, la taxe sur les profits détournés ne couvre pas tous les stratagèmes d’évitement fiscal. Il s’agit néanmoins d’un outil nécessaire, d’un premier pas vers une plus grande justice fiscale.

Notons finalement que la Commission des finances publiques a demandé que l’ARC estime les profits des multinationales ayant des activités dans le Canada et détournés dans un paradis fiscal, dans l’objectif d’étudier la faisabilité d’instaurer une taxe sur les profits détournés. Sans défendre explicitement l’instauration d’une telle taxe, on voit que les parlementaires du Québec considèrent que cette revendication est assez importante pour qu’on étudie sérieusement son application.

Imposer adéquatement l’économie numérique

Les entreprises numériques, couramment nommées GAFAM (Google, Apple, Facebook, Microsoft, et les autres, telles Netflix, Airbnb ou Uber), occupent des parts du marché canadien de plus en plus grandes, parfois dominantes, dans leur secteur d’activité et font une concurrence déloyale aux entreprises établies au Canada. Certaines de ces entreprises évitent tout impôt au Canada et ne perçoivent pas les taxes de vente. Non seulement ces entreprises évitent massivement l’impôt, mais elles imposent une concurrence déloyale aux entreprises locales œuvrant dans le même domaine.

En 2018, le gouvernement du Québec a annoncé que certaines entreprises qui vendent et fournissent des services en ligne au Québec allaient devoir percevoir la taxe de vente du Québec (TVQ) sur leurs services. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, mais on ne parle pas d’impôt sur les profits réalisés au Québec par ces entreprises. Il faut maintenant viser du point du côté canadien la collecte des taxes et l’imposition complète des profits des entreprises étrangères réalisés au pays.

Compte tenu de l’importance grandissante du secteur numérique et de la concurrence déloyale envers les entreprises résidentes, certains pays ont décidé de mettre en place un régime d’imposition temporaire des géants du numérique en attendant la mise en œuvre des solutions de l’OCDE. Le Royaume-Uni est allé de l’avant avec son propre régime d’imposition, tout comme la France.

Et le Canada ?

À l’heure actuelle, la position canadienne concernant la taxation des géants de l’économie numérique est d’attendre l’adoption et la mise en œuvre des solutions qui seront éventuellement proposées par l’OCDE en 2020. Mais le Canada peut et doit en faire davantage pour taxer et imposer les profits réalisés par l’économie numérique sur son territoire. Les sommes perdues au cours du délai sont colossales et le tort causé aux entreprises canadiennes, très sérieux.

Nous soulignons par ailleurs qu’il ne faudrait pas que l’augmentation des charges fiscales pour ces entreprises se traduise en une augmentation du coût des produits pour les consommateurs et consommatrices.

En savoir plus : la taxe française – https://france.attac.org/actus-et-medias/le-flux/article/taxe-gafa-on-continue-l-enfumage?fbclid=IwAR05v4VYEnA66gHpDgdMHQTLVIay9Xdy9pDznADDBxxn9pI00bePiF38GQ8

Revoir les liens du Canada avec des paradis fiscaux notoires

Le Canada entretient des liens problématiques avec des paradis fiscaux notoires. Il faut revoir l’appareil fiscal international canadien pour que cesse un régime qui permet en toute légalité d’éviter l’impôt.

Changer les lois fiscales pour assujettir à l’impôt les revenus et les profits déclarés dans un paradis fiscal et rapatriés au Canada

Les lois fiscales canadiennes sont insuffisantes pour justement percevoir tous les impôts sur les revenus et profits déclarés par les contribuables canadiens à l’international. Actuellement, les lois autorisent toujours à un contribuable qui déclare des revenus et des profits dans un paradis fiscal de les rapatrier dans certains cas au Canada tout en étant exonérés d’impôt. Autrement dit, l’ARC peut difficilement imposer et recouvrer les sommes déclarées par un contribuable recours dans un paradis fiscal.

Revendication de longue date du Collectif et du Réseau pour la justice fiscale, cette revendication permettrait à l’ARC de percevoir des impôts sur les revenus déclarés offshore et rapatriés au Canada.

La modification consisterait à changer la Loi sur l’impôt sur le revenu et les règlements associés, notamment le paragraphe 95(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et le règlement 5907 de l’impôt sur le revenu. Ces articles disposent de définitions légales qui déterminent quand un contribuable ayant des revenus à l’étranger est exonéré d’impôt. Il serait ainsi possible de modifier ces articles de manière à ce que tout contribuable qui a droit à un avantage fiscal dans le paradis fiscal ne soit pas exonéré d’impôt au Canada.
En plus du Collectif et du Réseau pour la justice fiscale, de nombreux partis politiques fédéraux défendent cette position. La Commission des finances publiques a aussi fortement recommandé cette solution (recommandation 31). Finalement, une motion unanime a été adoptée le 14 avril 2016 par l’Assemblée nationale demandant essentiellement notre revendication. On peut donc en convenir qu’il y a un très fort consensus pour cette revendication.

En finir avec l’abus de la « double non-imposition »

Le Canada entretient plusieurs liens diplomatiques et fiscaux troublants avec des paradis fiscaux notoires. Ces liens prennent souvent la forme de convention fiscale de non double-imposition. Ces accords ont pour but de ne pas imposer trop lourdement les activités d’une multinationale. Par exemple, une multinationale canadienne qui a des activités dans un autre pays lié par une convention de non double-imposition avec le Canada verrait ses activités étrangères imposées soit au taux d’imposition du Canada, soit au taux d’imposition du pays étranger. L’objectif de ces conventions est de ne pas imposer deux fois les profits des entreprises pour les mêmes activités, ce qui a du sens.

Ces conventions fiscales sont toutefois beaucoup moins sensées quand elles lient le Canada avec des paradis fiscaux. Ces conventions fiscales permettent également aux entreprises de profiter de l’absence d’impôt dans ces pays pour ne pas avoir à payer d’impôt sur les activités qui y sont déclarées.

Le Canada a aussi développé de nombreux Accords d’échange automatique de renseignements fiscaux (AÉRF). Les AÉRF facilitent les échanges d’information fiscale entre les pays et le Canada. Cela dit, plusieurs AÉRF avec des paradis fiscaux permettent aux contribuables de rapatrier au Canada des dividendes déclarés dans ces paradis fiscaux sans avoir à payer d’impôt! À ce jour, le Canada a signé 26 AÉRF avec des paradis fiscaux.

En d’autres mots, par le biais de ces conventions, le Canada a combattu les paradis fiscaux… en les rendant légaux! Pour en finir avec l’usage excessif de la double non-imposition qui permet aux fortunes et aux multinationales de manipuler leurs opérations pour faire déclarer leurs revenus à l’étranger dans le but contourner l’impôt, il est temps de faire un grand ménage dans les conventions fiscales canadiennes avec d’autres pays et, en même temps, d’éliminer celles qui permettent aux fortunes et aux entreprises de se soustraire légalement à l’impôt canadien.

Proposer une vision d’avenir et multilatérale : la taxation unitaire des multinationales

Quel est le problème ?

Actuellement, chaque filiale d’une société multinationale est imposée comme étant une entité distincte. Cela permet aux multinationales d’organiser leurs affaires et de procéder à des transactions entre l’ensemble de leurs filiales afin de minimiser leurs factures globales d’impôt.

Il s’agit de ce qu’on appelle la manipulation des prix de transfert. Les prix de transfert sont les prix que se facturent entre elles les filiales d’un même groupe multinational. En optimisant abusivement les opérations des filiales relevant d’une même multinationale, cette dernière peut déclarer artificiellement ses profits dans des paradis fiscaux et ne pas payer d’impôt sur ses profits. Pourtant, chaque groupe multinational constitue en réalité une seule et même entreprise, peu importe le nombre de filiales et d’entités légales qui la composent. Les multinationales devraient donc être imposées comme une entreprise unique.

Par exemple, Google, en 2018, a détourné près de 20 milliards d’euros de revenus qui auraient dû être imposés sur le continent européen. Grâce à des stratagèmes qui utilisent les lois fiscales de divers pays européens, Google a manipulé ses opérations afin de déclarer le pactole aux Bermudes et n’aura pas à payer d’impôts !

Quelle est la solution ?

De plus en plus de spécialistes, comme l’Independent Commission for the Reform of International Corporate Taxation (ICRICT), proposent de réformer la fiscalité internationale des sociétés multinationales afin de les imposer non pas sur les profits de chacune des filiales du groupe, mais plutôt sur la base du profit consolidé de la multinationale. C’est ce qu’on appelle le système de la taxation unitaire des sociétés multinationales.

Comment ça marche?

Avec un système d’imposition unitaire, les impôts payés par une multinationale sur ses profits consolidés seraient répartis entre les pays dans lesquels cette multinationale fait affaire.

Cette répartition serait effectuée sur la base d’une formule qui prendrait en compte divers facteurs tels que les ventes, les actifs et le nombre d’employés par pays. L’idée est de répartir les impôts perçus globalement entre chaque pays en fonction des activités réelles que la multinationale y exerce.
Il ne serait donc plus possible pour une multinationale d’optimiser ses opérations pour faire déclarer ses profits dans un paradis fiscal puisqu’elle serait imposée à la hauteur de ses profits réalisés dans l’ensemble des pays où elle est active.

Quels sont les avantages de l’impôt unitaire ?

  • L’impôt unitaire simplifierait les règles fiscales internationales et mettrait un frein à la concurrence fiscale entre les États.
  • L’impôt unitaire réduirait de beaucoup l’intérêt de recourir aux prix de transfert et à l’évitement fiscal en utilisant les paradis fiscaux.

Il s’agit d’une solution radicale et audacieuse. Si le Canada ne doit pas attendre l’instauration de l’imposition unitaire pour agir sur d’autres fronts, il devrait malgré tout en faire activement la promotion. Il ferait ainsi preuve d’audace et de leadership sur la scène internationale.

Pour en savoir plus : https://static1.squarespace.com/static/5a0c602bf43b5594845abb81/t/5a78f8d8085229f7204d8c2c/1517877477309/ICRICT+Unitary+Taxation+FRENCH+Feb2018.pdf

Des solutions à travers le monde

La Directive sur la lutte contre l’évasion fiscale de l’Union européenne

La Directive intègre le Paquet de mesures contre l’évasion fiscale et consiste en une série de taxes dissuasives applicables à l’ensemble des pays membres de l’Union européenne. La série de mesures permettra de taxer les revenus qui érodent la base d’imposition des pays membres. En d’autres mots, on applique plusieurs taxes ou mesures ciblées pour s’assurer que les revenus générés sur le territoire de l’Union européenne soient adéquatement taxés.
Cinq mesures seront en application à partir de 2019 :

  • Controlled foreign company rule : dissuade le transfert de profits vers des juridictions à faible imposition. Il s’agit essentiellement d’un énoncé de taxe sur les profits détournés, quoique la règle n’indique pas quel serait le taux de cette taxe ou comment elle serait appliquée.
  • Switchover rule : permet la taxation de dividendes rapatriés dans l’Union européenne si ces dividendes n’ont pas été convenablement taxés à l’étranger.
  • Exit taxation : Permet la taxation de la propriété intellectuelle ou de paiement de licence si la propriété intellectuelle est basée dans un paradis fiscal.
  • Interests limitation : Limite le taux d’intérêt des prêts accordés entre des entités d’un même groupe multinational dans le but d’éviter de l’impôt.
  • General anti-abuse rule : dans le cas où un stratagème ne serait pas couvert par les quatre points précédents, tous les pays adopteront une règle commune afin de mieux capturer les stratagèmes d’évitement fiscal.

Finalement, une autre mesure s’ajoute, ayant pour but de contrer les hybrid mismatch arrangements. Ceux-ci permettent à une entité présente dans plusieurs législations de profiter des avantages fiscaux de toutes les législations et d’obtenir la double non-imposition.

Concrètement, ces mesures visent à optimiser le BEPS et les travaux de l’OCDE. Il s’agit en fait d’un super BEPS et qui a pour objectif de protéger le régime fiscal européen contre l’évitement fiscal opéré par les multinationales. À noter que cela comprend aussi d’autres mesures européennes, notamment un registre des bénéficiaires ultimes.

L’intérêt principal réside dans le fait que plusieurs pays soient prêts à mettre en place des formes de taxes dissuasives pour réguler le marché et mettre un frein à l’évitement fiscal. Si on revendique des mesures similaires (comme la taxe sur les profits détournés ou sur la propriété intellectuelle offshorisée), on pourra s’appuyer sur l’exemple de l’Union européenne. Mais surtout, c’est un argument pour exiger que le Canada fasse davantage que simplement appliquer le BEPS. En effet, l’Union européenne est la législation qui a adopté le plus de mesures contre l’évitement fiscal. C’est un signe que les temps changent et que l’attitude du Canada est d’une autre époque.

Pour en savoir plus : https://ec.europa.eu/taxation_customs/business/company-tax/anti-tax-avoidance-package_fr

La liste noire des paradis fiscaux de l’Union européenne

L’Union européenne a tenté de marquer un grand coup en 2017 en publiant une liste noire des paradis fiscaux. Cette liste noire était l’aboutissement de plusieurs audits avec plusieurs pays qualifiés de paradis fiscaux. L’Union européenne leur imposait un choix : améliorer leurs pratiques fiscales et leur transparence ou se retrouver sur cette liste. Le fait de se retrouver sur la liste n’amène toutefois aucune sanction.

Au moment de sa publication, la liste comportait 18 pays. En 2019, on en retrouve 15 : Aruba, Belize, Barbade, Bermudes, Dominique, Émirats arabes unis, Guam, îles Fidji, îles Marshall, îles Vierges américaines, Oman, Samoa, Samoa américaines, TrinitéetTobago. Les pays sont retirés quand ils démontrent aux auditeurs européens qu’ils sont en voie d’atteindre les critères de bonnes pratiques de l’UE, notamment la transparence, la coopération entre autorités fiscales, l’échange d’informations fiscales et l’inclusion au BEPS.

La liste de l’UE a été durement dénoncée pour ne comporter aucun pays européen problématique comme l’Irlande, le Luxembourg ou les Pays-Bas (seule la Suisse s’est retrouvée quelque temps sur la liste), tandis que d’autres pays aux pratiques douteuses ont été épargnés de tout audit (comme la Russie). Aussi, il y a lieu de se questionner quant à la rapidité à laquelle plusieurs paradis fiscaux ont subitement amélioré leur score. Finalement, la définition même de « pays non coopératif », qui est le critère de la liste noire, permet d’ignorer des paradis fiscaux plus complexes, comme les centres financiers mondiaux ou les zones franches.

En définitive, on peut avancer que si la liste noire a permis de mettre au pas certaines juridictions pour qu’elles adoptent des normes minimales de transparence et de coopération fiscale internationale, ce fut surtout un échec politique. Ne pas avoir inclus de paradis fiscaux européens a porté un rude coup à la crédibilité de l’exercice.

Pour en savoir plus : https://ec.europa.eu/taxation_customs/tax-common-eu-list_fr

La GILTI Tax des États-Unis

La Global Intangible Low-Taxed Income (GILTI) consiste en un élargissement de la taxation américaine pour s’étendre aux revenus passifs de contribuables américains actionnaires dans des entités internationales (précisément les controlled foreign corporation), notamment des fiducies. La mesure est extrêmement complexe et technique, mais globalement, elle rend 100 % taxable ce genre de revenus selon certains critères, et s’applique aux actionnaires détenant 10 % et plus d’actions de l’entité. Elle est aussi immédiate, à savoir que si elle s’applique à un contribuable, elle doit être payée pour l’année fiscale en cours et le contribuable ne peut différer son paiement dans le futur.

Concrètement, l’effet de la GILTI est de faire en sorte que tout revenu ou profit déclarés à l’international par une multinationale ou des actionnaires américains soit minimalement imposé.

À noter que la GILTI Tax a été mise en place avec d’autres règles fiscales antiévitement dans la réforme des taxes du gouvernement Trump en 2017 :

  • Foreign-derived intangible income (FDII). Cette règle encourage le développement de revenus passifs sur le territoire américain sous la forme de déductions et d’allègement du GILTI.
  • Base erosion anti-abuse tax (BEAT). Cette règle attaque de front l’évitement fiscal par la manipulation des prix de transfert (et plus précisément, l’érosion de la base d’imposition quand une entité d’une multinationale paie à une autre entité étrangère du même groupe des sommes déductibles d’impôt aux États-Unis).

En définitive, l’ensemble de ces mesures élargit la base d’imposition pour s’assurer que les profits américains soient minimalement taxés.

L’intérêt d’une telle mesure pour le Canada consisterait à harmoniser notre cadre fiscal international avec celui des États-Unis. Le taux de taxation de la GILTI Tax pourrait même être augmenté dans le futur (ce qui est prévu aussi aux ÉtatsUnis) afin de décourager de plus en plus les pratiques d’évitement fiscal. Plus largement, l’intérêt d’une telle mesure est qu’il s’agit d’un autre exemple d’action musclée d’une autorité fiscale dotée de moyens pour taxer une portion des revenus qui évitent le fisc.

Pour en savoir plus : http://fixthetaxtreaty.org/2018/11/23/explaining-gilti/