L’ampleur du problème

 

Des investissements dans les paradis fiscaux qui augmentent

Il est difficile de savoir précisément quels sont les impacts des paradis fiscaux, car, par définition, ce qui se passe dans les paradis fiscaux est caché. Toutefois, de plus en plus d’études et d’estimations montrent que le recours aux paradis fiscaux est bien réel et en augmentation constante. Ainsi, selon la Banque des règlements internationaux, près de la moitié des transactions financières passent par des paradis fiscaux. Le spécialiste Gabriel Zucman, quant à lui, estime que près de 40% de la richesse mondiale se retrouve dans des paradis fiscaux. Ce sont donc des sommes importantes dédiées au financement des services publics et des institutions d’État qui sont détournées. La Banque Mondiale estime, quant à elle, que près de la moitié des transactions financières mondiales transitent par des paradis fiscaux.

En 2017, les dix pays qui ont accueilli le plus d’investissements directs étrangers (IDE) sont, en ordre décroissant (du plus important au moins important) les États-Unis, le Royaume-Uni, le Luxembourg, la Barbade, les îles Caïmans, les Bermudes, les Bermudes, les Pays-Bas, l’Australie, les Bahamas et le Chili. Donc, 6 paradis fiscaux sont parmi les pays recevant le plus d’IDE. De 2010 à 2017, les IDE canadiens dans ces paradis fiscaux ont été en augmentation majeure, comme en témoigne le graphique suivant.

 

Source : Statistique Canada, CANSIM 376-0051, ou 36-10-0008-01

Ces investissements sont un mirage. Les entreprises canadiennes qui investissent massivement dans des paradis fiscaux ne développent pas leurs activités dans ces pays, mais y déplacent des sommes majeures afin d’éviter l’impôt au Canada. On le voit, les paradis fiscaux ont toujours la cote ! Le Toronto Star a calculé que, de 2011 à 2016, les conventions fiscales canadiennes avec des paradis fiscaux ont fait perdre environ 14 milliards en impôts.

 

Les déboires de l’Agence du Revenu du Canada

L’ARC a beaucoup été critiqué par le passé pour son inefficacité à agir contre les paradis fiscaux et à être complaisante envers les fraudeurs et coupables d’évitement fiscal. On note depuis quelque temps une nette amélioration, mais il y a encore beaucoup à faire.

Les ententes hors cour.

Par le biais d’ententes à l’amiable, l’ARC a plusieurs fois été fort complaisante envers les coupables. En effet, entamer des poursuites à la Cour canadienne de l’impôt peut être difficile et coûteux, d’autant plus que prouver que quelqu’un est coupable d’évitement fiscal est une tâche complexe. Elle a donc offert des arrangements à l’amiable hors cour et confidentiels, dont il est impossible de connaître la teneur. L’affaire KPMG est emblématique de ce problème, car l’ARC a offert aux clients qui ont profité du schème de fraude offert par KPMG la possibilité de rembourser leur dû sans accusations.

Récemment, l’ARC a mené deux importantes poursuites contre Loblaws et CAMECO à la Cour canadienne de l’impôt (qu’elle a malheureusement perdues). Ces poursuites témoignent, on l’espère, d’un changement de mentalité chez l’ARC et que cette dernière est maintenant prête à poursuivre les contrevenants jusqu’au bout. Mais il faut aller plus loin en restreignant la possibilité même d’avoir des ententes hors cour.

 

Le programme de divulgation volontaire.

Ce programme de l’ARC permet à un contribuable fautif de volontairement régulariser sa situation, payer ses dus et ne pas faire face à des accusations. Ce programme est cela dit beaucoup trop complaisant puisqu’il n’est accompagné d’aucune pénalité sérieuse ! Autrement dit, il envoie le message qu’éviter l’impôt au Canada peut facilement être pardonné !

L’ARC a récemment considérablement restreint l’accès à ce programme. C’est un pas dans la bonne direction, mais il faut en faire plus. Il faut ajouter des pénalités allant jusqu’à 30% du montant dû et ne permettre qu’une seule divulgation par contribuable.

 

Des services dysfonctionnels.

Les services offerts par l’ARC ont été considérablement critiqués de toute part. Avant tout, les vérificateurs fiscaux de l’ARC ont eux-mêmes dénoncé le fait qu’il existerait à l’ARC un régime à deux vitesses, où les plus riches et les entreprises bénéficient d’un traitement de faveur complaisant. À cela s’ajoutent des critiques sévères du Vérificateur général, qui a dénoncé ce même traitement de faveur envers les entreprises et un service téléphonique à la clientèle déficient.

Selon l’Institut des professionnels de la fonction publique du Canada (IPFPC), cette situation s’explique, entre autres, par le fait que l’ARC ne s’est toujours pas remise des compressions d’austérité imposées par le gouvernement Harper. Depuis son élection, le gouvernement Trudeau a investi près de 1,2 G$ dans l’ARC. Toutefois, les fonds sont toujours insuffisants pour que l’ARC retrouve un niveau de financement adéquat et puisse effectivement lutter contre les paradis fiscaux.

De plus, nous ne connaissons pas les résultats concrets des investissements du gouvernement Trudeau dans l’ARC quant à la lutte contre les paradis fiscaux ni les avancées générales de l’ARC sur ce dossier. En maintenant la population dans le doute, le gouvernement ne facilite pas la confiance envers ses institutions. Il faut revoir la reddition de compte de l’ARC pour qu’elles soient plus transparentes quant à ses opérations et réalisations.