15 janvier 2023
La réforme de la fiscalité internationale proposée par l’OCDE titube. Élaborée en 2 piliers, cette réforme propose (1) une répartition des « surprofits » (excédant 10 %) des multinationales (qui ont en majorité leur siège social dans des pays du G7) au prorata de leurs activités économiques dans les autres pays et (2) un impôt minimal mondial des entreprises de 15 %. Cependant, depuis son adoption par le « cadre inclusif » de l’OCDE, la réforme de la fiscalité internationale peine à être adoptée au sein des législations nationales.
Aux États-Unis, les divisions parlementaires bloquent tout espoir d’une participation américaine, pour au moins 2 ans.
Le 14 décembre dernier, l’Union européenne (UE) a réussi in extremis à faire adopter le second pilier de la réforme. En ce qui concerne le premier pilier, aucun calendrier n’a été établi par l’UE.
Le Canada n’a, de son côté, encore rien annoncé. La ministre Freeland avait promis, en 2021, que si le premier pilier n’était pas en vigueur d’ici fin 2023, la taxe sur le numérique serait réinstaurée le 1er janvier 2024 et applicable rétrospectivement jusqu’en janvier 2022.
On s’explique mal le lot d’embûches que rencontre depuis quelques mois ce projet de réforme, qui – rappelons-le – a précisément été concocté pour ces pays qui aujourd’hui rechignent à l’adopter. Comme le souligne Alex Cobham, directeur général du Tax Justice Network, le « cadre inclusif » de l’OCDE était une parodie d’inclusivité : non seulement, « l’OCDE est requise, par ses propres statuts et règlements, de prioriser les intérêts économiques de ses propres membres », mais « le processus du cadre inclusif a été largement critiqué par presque tous les pays non membres de l’OCDE participant, parce qu’il ne leur donne pas un vote, il ne leur donne pas une voix, ils sont là presque seulement pour signer la ligne pointillée. »
En plus d’être en retard sur son échéancier et d’être incapable de mettre en place un réel processus inclusif et démocratique, le projet de l’OCDE n’a jusqu’à maintenant pas porté ses fruits. Certaines mesures visant l’abolition des transferts de profit dans des paradis fiscaux ont déjà été mises en place avant la réforme en deux piliers. Or, comme le souligne l’économiste Gabriel Zucman dans une récente étude :
en 2019, « quatre ans après la mise en œuvre du processus BEPS […], il n’y a pas de déclin perceptible dans les transferts de profits mondiaux ou dans les transferts de profits des multinationales américaines (qui forment, selon nos estimations, près de la moitié des transferts de profit mondiaux). […] Nos résultats suggèrent que, jusqu’à maintenant, l’initiative [du BEPS] n’a pas été suffisante pour engendrer une baisse des transferts de profit. »
Pas surprenant, donc, de constater que la réforme en deux piliers rencontre, notamment au sein de la société civile, une forte résistance. Avec un taux d’imposition minimal de 15 %, plusieurs s’inquiètent des conséquences délétères d’un tel accord. Les paradis fiscaux à 0 % n’existeront peut-être plus en théorie. Mais, un seuil minimal de 15 % risque facilement de devenir un seuil maximal effectif : la poursuite de la concurrence fiscale entre les pays se poursuivra et rien dans cette réforme ne crée de dispositif pour la freiner. Par comparaison avec le Québec, le taux effectif d’imposition des entreprises visées par la réforme est actuellement de 26,50 % (taux combinés Québec et fédéral).
Le portrait est donc bien sombre. Mais.
Mais, un jet de lumière a réussi à percer la toile de fond. Le 22 novembre dernier, l’ONU a mandaté son secrétaire général pour la production d’un rapport sur la construction, au sein de l’ONU, d’un cadre intergouvernemental de discussions et de décisions sur les règles fiscales internationales. Comme le souligne le Tax Justice Network, c’est un premier espoir de voir naître une table de négociation internationale qui est réellement inclusive et démocratique. Ce serait une occasion de changer la balance du pouvoir et d’enlever à l’OCDE le monopole sur les règles de la fiscalité internationale qu’elle s’est arrogée après la Seconde Guerre mondiale. Toujours faut-il que les pays membres de l’OCDE, y compris le Canada, s’engagent à ne pas faire obstruction au projet de l’ONU!
Demandons au gouvernement du Canada de donner son soutien au processus de réforme piloté par l’ONU. Il est temps que nous rejoignions les rangs des alternatives démocratiques et que nous quittions les clubs sélects des pays riches.