13 décembre 2022
Le collectif Échec aux paradis fiscaux lançait en juin dernier la campagne « Démasquer, Condamner, Encaisser ».
Chacun de ces trois piliers nous permet de mettre en lumière l’actualité au sujet de l’évasion et l’évitement fiscal en tissant un fil rouge à travers la multitude bigarrée de nouvelles, de dépêches, de faits divers.
L’infolettre d’Échec aux paradis fiscaux développe, au fil de l’actualité, une courtepointe qui présente l’étendue des enjeux liés à la lutte pour la justice fiscale.
Ce mois-ci, la chronique « C’est du vol ! C’est du vol ! C’est du vol ! » revient sur la saga médiatique de la famille Irving et remet, au passage, en doute la légitimité de la notion d’évitement fiscal « légal ».
Kevin Arseneau, député du Parti Vert du Nouveau-Brunswick, a livré un touchant témoignage plein de bon sens à l’émission Enquête du 3 novembre dernier. Cet épisode portait sur les pratiques d’évitement fiscal de la compagnie néo-brunswickoise Irving au cours des 50 dernières années et qui a pourtant reçu plusieurs centaines de millions de dollars de subvention de la part des gouvernements. Leur fortune actuelle, évaluée à 8 milliards de dollars, leur permet d’exercer une forme influence sur le cours de la politique des Maritimes, tant au niveau provincial que fédéral.
L’évitement fiscal, contrairement à l’évasion fiscale, n’est pas criminel. La raison en est que l’évitement fiscal ne se solde pas par l’acte illégal de ne pas déclarer des revenus ou de blanchir de l’argent. Pour toutes fins pratiques, l’évitement fiscal est la pratique comptable qui consiste à diminuer la somme des impôts qu’un particulier ou une société a à payer en recourant aux exemptions légales.
Ce faisant, la catégorie de l’évitement fiscal est extrêmement large. Elle peut signifier le report de déclaration des gains découlant de placement dans une petite entreprise, pratique qui vise à ne pas fragiliser des entreprises naissantes en reportant la déclaration de gain en capital à une année subséquente. Mais l’évitement fiscal peut aussi signifier des pratiques comme celles mises en place par Irving : créer des sociétés intermédiaires aux Bermudes qui permettent de manipuler les prix de transferts (pratique interdite, mais pas criminelle) ; ou encore de créer une société d’assurance captive grâce à laquelle un groupe permet de s’assurer lui-même à son propre bénéfice.
La catégorie de l’évitement fiscal est donc, d’une part, beaucoup trop large en ce qu’elle regroupe des pratiques fiscales qui n’ont que très peu à voir ensemble. Et, d’autre part, l’évitement fiscal lorsqu’il est commis à grande échelle, lorsqu’il est abusif – comme c’est le cas, selon toute vraisemblance, avec Irving –, n’est pas sanctionné adéquatement par la loi. Le principe juridique du duc de Westminster qui dicte qu’un contribuable a le droit de conduire ses pratiques fiscales de façon à payer le moins d’impôt possible est ici applicable.
Mais lorsque l’évitement fiscal se solde par la non-imposition de fortunes produites au Canada et valant des milliards de dollars, quelle différence concrète y a-t-il entre l’évitement fiscal et l’évasion fiscale pure et simple ? C’est ici que la réponse de Kevin Arseneau est pleine d’un bon sens politique duquel nos gouvernements devraient s’inspirer :
« C’est du vol ! C’est du vol ! C’est du vol ! […] C’est du vol légalisé. »
Et ce vol, s’il n’est pas encore reconnu comme tel, ne l’empêche pas de ressembler à un vol, d’avoir les conséquences d’un vol, et de profiter au voleur au détriment de l’ensemble de la société. La moindre des choses serait de criminaliser l’évitement fiscal abusif !
Le cas d’Irving exemplifie parfaitement les trois piliers de notre campagne : démasquer, condamner, encaisser.
DÉMASQUER, parce que si ce n’était pas des fuites de documents comme celle des Paradises Papers mis au jour par le Consortium International du Journalisme d’Investigation, nous ne saurions toujours pas que le bénéficiaire ultime de l’Irving Oil Company est la fiducie « The ALI Family No. 1 Trust » créer aux Bermudes par Arthur Irving. Comme nous le demandons depuis des années, le Canada doit mettre en place un registre public des bénéficiaires effectifs afin de démasquer qui en fin de compte bénéficie des montages financiers des grands groupes de sociétés. Le Canada doit cependant aller plus loin et faire, également, la promotion d’un cadastre financier mondial afin de permettre de croiser les données entre les différents registres nationaux et donner une cartographie adéquate des corridors financiers utilisés par ceux qui pratiquent l’évitement fiscal abusif.
CONDAMNER, parce qu’il est injuste et délétère pour la stabilité de nos sociétés de laisser de tels actes impunis. L’évitement fiscal abusif doit être criminalisé au même titre que l’est l’évasion fiscale. Nous vous invitons d’ailleurs à lire notre mémoire à ce sujet qui a été présenté aux consultations publiques portant sur la réforme de la Règle Générale Anti-Évitement.
ENCAISSER, parce que la fortune des Irving a été produite au Canada grâce au dur labeur des néo-brunswickois, grâce aux subventions provinciales et fédérales, parce que sans la société et ses institutions cette fortune n’existerait pas, il est nécessaire et important d’aller chercher les sommes évitées afin que tant la société et ses institutions puissent subvenir à leurs propres besoins.